MYTHOLOGIE ET PLANTES MEDICINALES DE L'ANTIQUITE
André J. Fabre Octobre 2012
Des plus importants aux plus modestes, les dieux sont unis à la nature avec des liens étroits :
Zeus (Jupiter)[29] est maître de l'Olympe mais aussi du Ciel et de la Terre. Ses pouvoirs s'étendent à toute la nature : le chêne sacré[30] à l'ombre duquel les fidèles venaient chercher son oracle, bruissait du cri des oiseaux lorsque leurs prières étaient entendues... La botanique Antique célébrait Zeus sous tous ses aspects :
de la mythologie à la médecine
Asclépios (Esculape), fils du plus superbe des dieux, Apollon, dieu lui même, incarnait l'art de guérir. Il est toujours représenté[2] tenant à la main un caducée, baguette entourée de deux serpents, symbole du partage des deux mondes, terrestre et souterrain, vie et mort. Grâce à l'enseignement du centaure Chiron, il apprit tous les pouvoirs de la médecine. Il encourut ainsi la colère d'Hadès, dieu des Enfers qui redoutait de voir se dépeupler son royaume et le fit foudroyer par Jupîter. De très nombreuses plantes médicinales lui sont consacrées et parmi elles
La fille d'Esculape, Hygeia (Valetudo) aidait à guérir de leurs maux aussi bien les humains que les animaux : le nard, la valériane, l'armoise et le ricin[3], autant d'invocations à l'efficacité divine par son intermédiaire.
Les deux fils d'Esculape, avaient hérite du savoir de leur père. L'un d'eux, Machaon, chirurgien habile avait soigné, avec des applications de plantes, Ménélas, blessé par flèche et Philoctète mordu par un serpent venimeux. La plaie avait suppuré, Machaon y appliqua un baume guérisseur qui plongea Philoctète dans un profond sommeil : on y verra peut-être- la première anesthésie de l'Histoire de la Médecine.
Le Centaure Chiron avait été le maître d'Asclépios et le précepteur d'Achille tient une place importante dans la mythologie médicale de l'Antiquité. Nombreuses sont les plantes vouées à Chiron, pour la plupart vulnéraires :
Il est intéressant de considérer la phytonymie Antique de cette fleur colorée d'un beau rouge vif[7] :
Les plantes consacrées à la lune étaient, en effet, considérées par les Anciens comme... emménagogues : le grec n'a qu'un seul mot, ou presque, pour designer les règles, la lune et les lunaisons[9]. Une des appellations proposées par Dioscoride n'est elle pas ...meneon[10]..
On voit ici la diversité des mythes et des légendes attachées à ce personnage inclassable, mi-dieu, mi-héros, célèbre pour sa force et sa faiblesse : n'était-il pas, selon les récits tardifs, atteint du "haut mal"[18] ?
Au fil des siècles, vont s'élargir les indications thérapeutiques mais, pour autant, les références aux traditions mythologiques ne disparaîtront pas.
La comitialité[25] en donne un bon exemple : de nombreuses plantes mythologiques étaient vouées à cette indication :
Les plantes destinées au traitement des maladies gynécologiques étaient, elles aussi, objet fréquent d'invocations mythologiques :
En ce qui concerne les bronchites et la toux, la thérapeutique, ici aussi, fait largement recours à la mythologie :
Les préparations de la pharmacopée Antiquité font tout aussi souvent référence à la mythologie :
On retrouve donc, à chaque moment dans les textes ce qui reste familier à notre époque, le contraste entre une appellation "traditionnelle" pour le pas dire archaïque et un contenu qualifié de "scientifique". Hippocrate de Cos avait, le premier, bien avant notre ère (460-370 avant J.C.), su délivrer la médecine de ses entraves mythologiques. Bien d'autres noms viendront à sa suite : Dioscoride d'Anazarbos (41 à 68)[47], Pline (23 à 79), Celse (10 à 50? ), Galien (131 à 200), Marcellus (350 à 410?) : aucun d'entre eux ne s'inquiète, apparemment, des relations entre la médecine et le monde divin, sauf Pline qui, on le sait, n'était pas médecin.
La médecine Antique est une médaille biface : l'avers est la science, le revers, la magie... Malgré des progrès éclatants, l'art des thérapeutes va rester empreint d'un pouvoir mystérieux. Ici, pourtant, les références mythologiques, certes présentes en arrière-plan, ne sont qu'allusives.
Prenons un exemple parmi bien d'autres : la voie respiratoire d'administration des drogues, une des formes les plus anciennes de la pharmacopée Antique. C'est la vieille tradition orientale des "herbae mirabiles" qu'on fait brûler pour invoquer les dieux, mette en fuite les mauvais esprits, la mort et...amener la guérison. Ainsi, pour les Anciens, l'arôme végétal est doté d'un pouvoir spécifique qu'il s'agisse de fumigations sacrées ou de ce qu'il faut bien appeler "aromathérapie" : exposition de diverses parties du corps[48] aux vapeurs aromatiques, inhalations respiratoires ou buccales, fumigations d'encens, d'aloès et de diverses Térebinthacées, " prises " nasales (comme on l'a fait plus tard avec le tabac " à priser ") d'aneth ou de poivre. De fait, l'inhalation était perçue comme un mode de pénétration vers le siège des pensées et des émotions, le cerveau : les essences ne restent-elles pas de " purs esprits " ?[49] [50]
Bien d'autres pouvoirs mystérieux étaient attribués aux plantes médicinales, ainsi, la théorie des signatures évoquait les moyens offerts par la Nature de faire connaître les remèdes disponibles :
On aura quelques difficulté a décider s'il s'agit de croyances mythiques ou d'explications rétrospectives...
Autre théorie surprenante, celle des sympathies-antipathies. Le contraste entre jusquiame et armoise[54] dont Pline fait état est-il l'image du "couple" Apollon-Artemis ou l'ébauche de nos idées sur l'antagonisme et la complémentarité?[55].
Un dernier exemple fera prendre la mesure des difficultés qui sont les nôtres pour interpréter le message mythologique de la science Antique : les techniques de récolte des plantes médicinales. Le choix d'une date et d'un horaire[56], d'un type d'instrument de cueillette (en os ou en or) ou du récipient qui va servir à conserver les substances font l'objet de recommandations précises. Chacun est libre de son interprétation : témoignage d'un savoir empirique ou pratiques superstitieuses ?
Considérons à présent les tout derniers maillons de cette chaîne qui relie la mythologie aux plantes médicinales et d'abord, la phytonymie. Sommes nous conscients d'invoquer si souvent, par les noms de plantes, des personnages mythologiques : achillée, armoise (artemisia), camomille (chamaemelon), daphné, jacinthe (hiacynthus), iris, joubarbe (Iovis barba), mercuriale, myrrhe, narcisse, nymphea, ophrys, orchidée, pivoine (paeonia) : autant d'invocations mythologiques qui nous sont familières...
Reste à exposer un fait qui ne manquera pas de surprendre : la pérennité des indications thérapeutiques proposes par les Anciens. Citons, parmi bien d'autres exemples :
Bien d'autres substances "mythologiques" sont objet d'études contemporaines :
Bien d'autres exemples ne manqueront pas d'être évoques a ce sujet : comment ne pas évoquer la colchique propose par Celse dans le traitement de fièvres au long cours et qui constitue la thérapeutique actuelle de la maladie périodique, connue dans les pays anglo-saxons sous le nom de "fièvre méditerranéenne"[66] ?.
Enfin, l'exemple de référence reste celui du taxol, dérivé de l'if (taxus) dont Pline[67] (H.N.XVI.51.), Dioscoride[68] (IV.79) et même Virgile[69](Bucoliques.IX.30) avaient abondamment commenté la toxicité, et devenu l'un des plus importants médicaments de l'oncologie contemporaine (Paclitaxel[70]).
De nombreux travaux pointent, à l'heure actuelle, vers l'idée d'une archéo-pharmacologie qui serait, pour la pharmacopée Antique ce qu'est l'ethno-pharmacologie aux médecines traditionnelles du continent africain ou sud-américain.
Terminons sur un constat : au delà des mots et des mythes, des interprétations hasardeuses sur la nature des maladies et leur diagnostic, nous avons vu émerger, durant les 8 siècles de l'Antiquité, une véritable science de la thérapeutique. En va-t-il autrement pour nous ? n'avons nous pas mieux progresse dans le traitement de nos malades que dans l'explication de leur maladie ?
Comme l'a dit Paul Valéry : "le présent est il autre chose que la nourriture future du passé" ?
Notes
[1] Pline range le liseron parmi les plantes mortuaires (H.N.XVI.153, XXIV 8283).
[2] Table des illustrations (VI).
[3] "valere" est avant tout ""être efficace"
[4] Une autre appellation, explicite, est "centurion" .
[5] Aux confins de la Croatie et de la Dalmatie .
[6] Le nom anglais de la pivoine n'est-il pas "peony" .
[7] Table des illustrations (VII).
[8] Une autre version, propose par J. André, serait, plus prosaïquement : " la plante qui pousse dans les marbres".
[9] "mÐnj" est la lune, "mÐn se rapporte aux menstruations.
[10] Dioscoride. De Materia Medica.III.140.
[11] une autre tradition donne à cette fougère le nom de "cheveu de Venus"...
[12] Un autre phytonyme pour le nénuphar blanc est "herculanea".
[13] J. André propose, pour certains textes, tels Pline.H.N.XXV.42., qu'il puise s'agir du millefeuilles (Achillea millefolium) .
[14] On peut discuter, nous le verrons, une identification avec le pavot.
[15] Pline.H.N.XX.207. On ne manquera pas d'observer que le silène est également désigné, dans le même passage de l'Histoire Naturelle, comme "aphrodes"...
[16] Le mot "scrofa, scrofae, f." désigne, en latin la truie, mais aussi, la cicatrice d'une plaie ou d'un ulcère. Le terme de "scrofule", dérivé du bas-latin, implique l'idée d'une cicatrice
[17] Et non la constellation d'Hercule : sidus, sideris (n.).
[18] Le morbus Herculaneus peut aussi avoir été le mal qui résiste victorieusement aux remèdes ?
[19] Table des illustrations (VIII).
[20] Autres interprétations : germandrée et chélidoine.
[21] Dédiée aussi, par d'autres phytonymes, à Achille, Hercule et aux armes...
[22] La phytonymie Antiques est très riche pour la mercuriale annuelle : Hermu basilon, Hermu notane, Hermu poa, mercuriana et...sideritis
[23] On en rapprochera les innombrables appellations de la grande...consoude : consolda, symphytum, haemostasis, soldago.
[24] La plante qui avait obtenu, par l'intercession d'Athéna, la guérison miraculeuse d'un ouvrier victime d'une chute grave.
[25] La survenue d'une crise contraignait à ajourner la tenue des Comices.
[26] Scribonius Largus.21.22.
[27] Pseudo-Apulee.53.13. (cité par J. André).
[28] "la plante qui donne le rêve" ?
[29] "la plante qui donne l'oubli " ?
[30] Pline.H.N.XX.98.
[31] "veratrum" est un des noms latins de l'hellébore.
[32] Pline.H.N.XXV.52.
[33] Liste des Plantes Médicinales Essentielles (Document O.M.S, D.P.M, 80.4)
[34] Pline.H.N.XXVII 45 XXVIII.
[35] menses rubentes sistit.
[36] Oribase.eup.2.1. (430.12) (cité par J. André).
[37] Pline.H.N.XX.146 et 148.
[38] Pline.H.N.XXVI 27 XVI.
[39] la "panacea" citée par Pline (H.N.XX.169.)
[40] Pline.H.N.XX 175 LXII.
[41] Dioscoride.De Materia Medica.III.29 (ed. grecque 32).
[42] "spirandi difficultatem" : Dioscoride.De Materia Medica. III. 87.
[43] "ad tussim vetere, suspirium et phtiisi temptatos" : Scribonius Largus.LXXXIX.
[44] "dyspnoicis" : Pline.H.N.XXIV.23. et Pline.H.N.XXVI 27 XV.
[45] Pline.H.N.XXI.159.
[46] Pline.H.N.XX.264.
[47] Table des illustrations (IX).
[48] Voir dans Caelius Aurelianus (Tard.II.114) la description d'un appareil de fumigation thérapeutique.
[49] N'avons nous pas, parfois, un " rhume de cerveau " ?
[50] Peut-on faire le rapprochement avec les pratiques de prise nasale par les toxicomanes ?
[51] Pline.H.N.XXVI.95 et, sous le nom de satyrion" XXVI.96.
[52] Pline.H.N.XXVI.131.
[53] Celse.De Medicina.III.18.12.1.
[54] Pline.H.N.XXV/74-75.
[55] Une des fonctions du système sympathique n'este-t-elle pas de régir la vie ""végétative" .
[56] Pline.H.N.XX.29 .
[57] Nous avons vu le "dyonusias" identifié par J. André comme millepertuis perforé .
[58] Nordfors-M; Hartvig-P.St John's wort against depression in favour again. Lakartidningen. 1997 Jun 18; 94(25): 2365-7.
[59] Voir, à ce sujet, Dioscoride.IV. 65., Celse.V.25. 1.1, V.25. 3b.1 et VI. 7. 1c.1,
[60] Une très interessante publication israelienne decrit les fouilles archéologiques effectuees sur la sepulture d'une très jeune accouchee enterree avec son enfant et une vasque de fumigation contenant encore des restes de cannabis (Zias J., Stark H., Seligman J., Levy R., Breuer A., Mechoulam R. Early medical use of Cannabis. Nature, 1993 ; 363 : 215).
[61] C.G.L 3 543.
[62] Artemisia annua dans le traitement de la malaria. Pharm Belg 1998 Jul-Aug;53(4):276-7 .
[63] Pline.H.N.XXIV. 21. XII.
[64] Aqel MB, Al Khalil S, Afifi F, Effects of a Ferula sinaica root extract on the uterine smooth muscle of rat and guinea pig, J-Ethnopharmacol. 1991 Mar; 31(3): 291-7.
[65] Holland, déjà cité.
[66] C'est l'appellation anglo-saxonne de la maladie périodique...
[67] "et même il est prouvé que des récipients de bois faits en Gaule pour le transport du vin ont provoqué la mort. D'après Sextius, les Grecs l'appellent smilax et son poison en Arcadie est si actif qu'il tue ceux qui dorment ou qui mangent sous un if".
[68] "l'if de la Narbonnaise...a un effet violent même pour ceux qui se sont arrêtés ou couchés sous son ombre et souvent, cause leur mort".
[69] Virgile conseille d'écarter les ruches du "bois amer" de l'if.
[70] Potier P., Gueritte-Voegelein F., Guenard D. (Institut de Chimie des Substances Naturelles, C.N.R.S., Gif-sur-Yvette).Taxoids. A new class of antitumour agents of plant origin. Recent results. Nouv.Rev.Fr.Hematol. 1994; 36:Suppl. S21-3 .
Date de dernière mise à jour : 29/07/2013
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